Les chroniques écarlates regroupent 6 mini-romans qui se déroulent dans le monde de l’Etoile. Sans que l’on retrouve les héros d’une histoire à l’autre, des références, des éléments, des peuples de certaines chroniques se retrouvent dans d’autres histoires, créant le réseau d’un ensemble cohérent.
Dans « La Gloire Ecarlate », le lecteur suit le parcours initiatique d’un futur guerrier mercenaire. Le récit se construit comme l’histoire classique d’un jeune guerrier en formation, avec ses cruelles épreuves éliminatoires. Sans jamais ennuyer son lecteur, Fabrice Pittet coule son récit dans un des moules classiques de la fantasy. Mais l’auteur ne va pas se contenter d’utiliser ce carcan, il va le questionner, le chahuter jusqu’à faire apparaître ses failles. Ensuite, il va briser le moule et en jeter les morceaux à son lecteur, comme pour lui dire «tiens, maintenant réfléchis à tout ça ! » On entrevoit ici la patte de Fabrice Pittet : il ne ménage ni ses personnages ni ses lecteurs. Une expérience déroutante menée de main de maître par un auteur doué dans cet exercice.
« Par-delà les ondes » met en scène Elpheen : un habitant de la mer du peuple des bélénides qui souffre d’une déficience et ne peut pas sortir de l’eau, contrairement aux autres membres de son espèce. L’idée est très originale, le milieu est parfaitement décrit, même si quelques passages donnent l’impression de suivre un documentaire sur le monde sous-marin. On a l’impression d’y être, et quand Elpheen manque d’air, on se surprend presque à avoir le souffle court. La frustration due à la déficience est traitée de façon intéressante et la fin est épique. Une lecture envoûtante et prenante.
« Dans son ombre » relate l’histoire plus classique d’un guerrier tiraillé entre ses sentiments et son devoir. Même si le thème se rapproche de la fantasy que j’affectionne habituellement, ce n’est pas dans cet exercice que j’apprécie le plus le style de Fabrice Pittet. Il y décrit pourtant des personnages intéressants. Les rebondissements sont présents, les scènes de bataille chères à l’auteur sont réussies. Comme de coutume, l’auteur utilise un vocabulaire riche et recherché. J’aurais cependant aimé plus de simplicité et de dynamisme dans l’écriture de certaines scènes de combat.
Ex p.177 : « Non sans une insulte proférée avec hargne, il écrasa son arme de fortune sur la tête de la chose ». Le registre un peu pompeux de la 1ere partie de la phrase alourdit la scène d’action à mon goût.
Dans « Les Corbeaux de Mereng », l’auteur nous place en immersion dans un groupe de brigands. Une rencontre va amener leur chef à initier une réflexion sur ses motivations. La nouvelle nous pose question sur les origines du mal, inné ou acquis, à travers une aventure palpitante. Le seul bémol viendrait d’un souci de niveau de langage qui n’est parfois pas assez net entre la narration et les dialogues. Parfois, le langage parlé et naturellement grossier des voleurs se trouve mélangé au vocabulaire recherché de l’auteur. C’est ainsi que l’un des voleurs se retrouve par exemple à prononcer le mot « concupiscence » alors qu’il est en train de haranguer ses troupes. Un moindre détail dans une nouvelle sinon parfaitement réussie.
L’attrait de la nouvelle « Vous mourrez tous » réside sans conteste dans la construction de son personnage principal : l’anti-héros par excellence. Vieux, faible, alcoolique, couard, démissionnaire, il réunit tous les défauts d’un personnage qu’on adore détester. Fabrice Pittet nous réserve quelques ruses de bataille dont il a le secret, dans un récit plaisant à suivre qui ne figure pas parmi les perles de ce recueil, tout en étant parfaitement conté.
« Le Dernier Bastion » clôture de façon magistrale ce recueil de nouvelles. Fabrice Pittet se livre à un exercice narratif dans lequel il excelle : le récit de bataille, les situations tendues, voire désespérées et les gestes héroïques. Les personnages (les guerriers, donc) sont remarquablement construits. Ils sont tous différents, uniques avec leur personnalité propre et leurs motivations pour se battre. Les adversaires sont effrayants à souhait et les descriptions de combats aptes à provoquer des cauchemars. Au final, un récit poignant et haletant.
La véritable réussite de ce recueil de nouvelles réside dans la diversité des situations présentées. Chaque histoire, chaque personnage est une invention unique et aboutie. On ne s’ennuie pas une seule seconde à la lecture de ces chroniques. C’est un exercice difficile que de plonger le lecteur six fois dans des situations et des décors différents, sans le surcharger d’informations. Mais Fabrice Pittet relève le défi haut la main. L’immersion se fait sans peine dans chaque histoire. On prend plaisir aussi aux clins d’œil et aux références croisées entre les récits. Par exemple, dans « Le dernier bastion » on est soulagé de voir un Radashien parmi les guerriers, parce qu’on a appris de quoi ils sont capables dans « La gloire écarlate ». Ceci donne une unité tout à fait bienvenue à l’ensemble des chroniques.
En résumé, « Les Chroniques Ecarlates », ce sont six beaux moments de lecture d’heroic fantasy.